La vie mensongère des adultes : Elena Ferrante
Publié le 20 Septembre 2021
Embarquons dans une adolescence tourmentée dans un décor napolitain. La carte postale a mal vieilli et les rancœurs ne se sont pas aplanies. Giovanna, une adolescente très bonne élève, aimée, choyée par ses parents, bascule dans le chaos. Une simple phrase, anodine pour celui qui la prononce, enfonce cette adolescente dans une recherche de sa nature profonde.
Elle est laide et ressemble à cette tante Vittoria bannie de la famille pour ses comportements agressifs. Giovanna tente de renouer avec ce passé et désire comprendre sa propre descente aux enfers. Elle entre en conflit constant avec ses parents (trop propres sur eux), professeurs distingués qui vouent un culte à l’intelligence. Elle découvre une autre Naples, celle malfamée, odorante, inculte qui l’attire et l’effraie.
Qui ment dans cette affaire : cette tante acariâtre et violente, à demie-folle ou ses parents trop parfaits ? Le jeu du mensonge a plusieurs facettes dont les adultes arrivent à tirer leur épingle du jeu.
Ce roman d’Elena Ferrante nous plonge dans un roman initiatique mais pas celui qu’on voudrait lire. Une adolescente au profil adorable, accompagnée d’une tante aux tempéraments virulents, de demi-sœurs encore fleur-bleue et d’un prince charmant inaccessible, doit faire ses propres preuves pour appartenir à cette famille qu’elle détruit puis reconstruit avec de nouvelles règles. Giovanna lutte, se débat à la fois contre sa condition d’enfant privilégiée mais malaimée et son accession au monde adulte qui ne se fait pas sans perte de l’insouciance. La libération se fait dans la douleur par le dernier coup d’éclat des dernières pages du roman.
Roman intéressant sur le développement de l’adolescence vers l’âge adulte avec ses crises et la quête de sa propre identité. Période instable et revancharde : perte de l’innocence et découverte des mensonges ou de ses propres vérités.
« (…) Pleine de rancœur, Vittoria me disait : Tu les aimes parce que ce sont tes parents, mais si tu n’es pas capable de voir que ce sont des gens de merde, tu deviendras une merde à ton tour et je n’aurais plus envie de te voir. »
« Je ris, exactement comme lorsque j’étais petite, et mon admiration enfantine pour cet homme revenait déjà. Je ris fort, mais avec gêne. Je ne savais pas si je devais me laisser aller, ou bien me rappeler qu’il ne méritait pas cette admiration et lui crier : Tu as dit que les hommes ont toujours tort et qu’ils doivent assumer leurs responsabilités mais toi, avec maman, tu ne les as jamais assumées, et avec moi non plus ; tu es un menteur, papa, tu es un menteur, et ce qui me fait peur, c’est justement cette sympathie que tu sais susciter, quand tu le veux. »
« Des mensonges, encore des mensonges : les adultes les interdisent, et pourtant ils en disent tellement. Je fis oui de la tête, dégrafai le bracelet et le mis dans ma poche. Elle me remercia et nous entrâmes dans l’appartement. Je revis alors, après tout ce temps, Angela et Ida, et nous retrouvâmes vite une complicité apparente, bien que nous ayons toutes trois beaucoup changé. Tu as maigri me dit Ida, et tu as de grands pieds ; mais qu’est-ce que tu as comme poitrine, oh oui, tu en as vraiment beaucoup ; et pourquoi tu es habillée tout en noir ? »