Le village de l'Allemand ou le journal des frères Schiller: Boualem Sansal

Publié le 29 Mai 2016

Le village de l'Allemand ou le journal des frères Schiller: Boualem Sansal

     Les enfants de la guerre doivent-ils porter la responsabilité des actes de leurs parents? Doivent-ils être aussi coupable que leurs pères tortionnaires?

 

     Rachel est mort d'avoir retracé le parcours dominateur et nazi de son père. Malrich se plonge dans le journal intime abandonné par Rachel à sa mort. Deux frères, nés d'une mère algérienne et d'un père allemand, débarquent dans une cité française pour réchapper à la misère. Est-ce bien là la seule vérité? Chacun des garçons s'approprie un semblant de vie. Cependant, quand un massacre se produit dans le petit village de leur enfance, Rachel doit connaître la vérité. Celle-ci s'avère macabre.

   Sur fond de vie d'intégration raciale, le narrateur aborde le nazisme, ses conséquences sur les générations persécutées par un dictateur. Par le biais du nazisme, Boualem Sansal alerte les communautés sur le mouvement intégriste qui pullule dans toutes les cités par l'intermédiaire des mosquées. Il pointe du doigt les endoctrinements que les autorités laissent se développer.

 

   L'auteur met en exergue les similitudes d'Hitler et des dirigeants intégristes. Il veut éveiller les consciences à la vigilance. Il affirme aux enfants émigrés que l'Algérie de leur souvenir n'a plus la même image.

   L'utilisation de la lecture du journal intime impose une confidentialité. Chaque lecteur devient Malrich qui se découvre, qui prend conscience de ses racines. Le lecteur s'approprie ses souffrances, comprend plus aisément le malaise, la nausée de découvrir un père méconnu par sa propre famille mais reconnu par l'Histoire comme un serviteur assidu d'un des plus grands dictateurs.

   Boualem Sansal joue constamment avec des allers-retours entre l'enfance algérienne et le monde moderne qui glisse sous les pieds de ces déracinés. L'image de l'autre et son rapport à l'autre se désolidarisent, se désagrègent. L'image du père admirée par ce petit village algérien explose face aux images d'atrocité des camps d'extermination. La Shoah vue par un Algérien-Allemand- Français de banlieue accentue la souffrance vécue. Un extrait du livre "Si c'est un homme" de Primo Lévi marque de son encre et de son sang le drame vécu par ce village algérien massacré au nom du terroriste et non de Dieu.

  Ce n'est pas Allah qui prône la violence mais bien des hommes avides de pouvoir et de domination. Le dialogue entre l'imam et le jeune homme sacralise toute l'incompréhension de cette volonté castratrice. Boualem Sansal insiste sur les similitudes entre les islamistes et Hitler : les embrigadements, le choix d'une race supérieure, la surveillance constante, les prêches vindicatifs sous le couvert d'une volonté céleste...

 

Livre puissant,vivant et hurlant de vérité. A faire lire et étudier par le plus grand nombre.

Ce que je sais de l'Algérie, je l'ai su par les médias, par mes lectures, les discussions avec les copains. Au temps où j'habitais la cité, chez tonton Ali, j'en avais une perception trop vraie pour être réelle. Les gens jouaient à être algériens, plus que la vérité ne pouvait le supporter. Rien ne les obligeait mais ils se sacrifiaient au rituel avec tout l'art possible: Emigré on est, émigré on reste pour l'éternité. Le pays dont ils parlaient avec tant d'émotion et de tempérament n'existe pas. L'authenticité qu'ils regardent comme le pôle Nord de la mémoire encore moins. L'idole porte un cachet de conformité sur le front, trop visible, ça dit le produit de bazar, contrefait, artificiel, et combien dangereux à l'usage. L'Algérie était autre, elle avait sa vie, et déjà il était de notoriété mondiale que ses grands dirigeants l'avaient saccagée et la préparaient activement à la fin des fins. Le pays vrai est celui dans lequel on vit, les Algériens de là-bas le savent bien, eux. Le drame dans lequel ils se débattent, ils en connaissent l'alpha et l'oméga et s'il ne tenait qu'à eux, les tortionnaires auraient été les seules victimes de leurs basses oeuvres.

Un jour, le monde entier s'est mobilisé contre cette folie, ils ont tué l'imam en chef, le Führer, et tous ses émirs, et ils ont occupé l'Allemagne. C'est là qu'ils ont découvert les camps d'extermination. Il y en avait des dizaines, les morts se comptaient par millions et les survivants ressemblaient tellement à des cadavres qu'ils ne savaient comment leur parler. Quand mes parents et leurs voisins du village ont été égorgés par les islamistes, Rachel a commencé à réfléchir. Il a compris que l'islamisme et le nazisme c'était du pareil au même. Il a voulu voir ce qui nous attendait si on laissait faire comme on a laissé faire en Allemagne, à Kaboul et en Algérie où les charniers islamistes ne se comptent plus, comme on laisse faire chez nous, en France où les Gestapos islamistes ne comptent plus. Au bout du compte, ça lui a fait tellement peur qu'il s'est suicidé. Il pensait qu'il était trop tard, il se sentait responsable, il disait que notre silence était de la complicité, il disait que nous sommes dans le piège et qu'à force de nous taire en faisant semblant de discutailler intelligemment, nous finirons par devenir des kappas, sans nous en rendre compte, sans voir que les autres, autour de nous, le sont déjà.

(...) Je paie pour un autre. Je veux le sauver, parce que c'est mon père, parce que c'est un homme. C'est ainsi que je veux répondre à la question de Primo Lévi, Si c'est un homme. Oui, quelle que soit sa déchéance, la victime est un homme, et quelle que soit son ignominie, le bourreau est aussi un homme.

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Rédigé par toujoursalapage

Publié dans #Y a quelqu'un qui m'a dit...

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